*Hommage à Marie-France Dubuc*

Hommage à Marie-France DUBUC

  • Certains d’entre nous sont destinés à vivre dans une dynamique où l’équilibre fait loi. Il ne s’agit pas d’avancer comme un funambule sur un fil, mais d’asseoir ses connaissances sur une adaptation constante et inventive au service du patient.
    Telle une cantate intérieure, Marie-France a su écouter et tisser une approche généreuse entre l’espace environnant et l’espace corporel dans une complétude où les informations en lien avec l’orientation pouvaient se corroborer les unes les autres.
    Elle a pu mettre en place un joli ballet humain régi par les lois de la gravité dans une logique d’évolution qui se veut malléable, suffisamment en tout cas pour permettre par l’expérimentation d’aider les enfants présentant une aréflexie vestibulaire à prendre conscience et à rendre opérants des capteurs régis par la loi de la pesanteur.
    Elle leur a permis aussi à mobiliser leur vision dans une lecture orientée dans l’espace pour pouvoir s’organiser et expérimenter un bon ajustement postural, en tenant compte du fait que nos habituations font oublier qu’informer son cerveau sur l’avancer et le contrôle de ses déplacements n’est pas donné à tout le monde.
    Les stratégies motrices et toniques adaptées que Marie-France a mis en place ont permis à de nombreux enfants de découvrir leurs propres appuis dans un souci de créativité et d’invention permanent. Ces enfants ont pu reconstruire leur corps pour permettre l’émergence de la pensée dans un ancrage attentionné et spécifique. Ils ont pu ainsi développer une sécurité de base issue et façonnée par les expériences motrices afin de pouvoir construire leur axe et accéder ainsi à la verticalité en ayant enfin : « les pieds sur terre »
    La gravité terrestre nous attire et nous modèle, ne pas en avoir conscience déforme la réalité du monde environnant, Marie-France s’est donné comme mission de proposer à tous ces enfants en difficulté, de renouer avec la position de leur corps dans l’espace et leur verticalité, de se réapproprier leur moi profond perdu dans leur espace interne.
    Nous la remercions de nous avoir ainsi orientés et disposés à suivre ses indications et ses suggestions constructives, nous suivons sa voie, nous avons le devoir de l’enrichir et d’en exploiter sa valeur en continuant à inventer et créer de nouvelles idées basées sur des expériences sensori-motrices toutes tournées vers un même objectif, diversifier les médiations et construire de nouveaux étayages dans le but d’en assurer sa continuité.

    Sylvie Sansous et le groupe de travail des psychomotriciens du centre de Ressources Robert Laplane

  • HOMMAGE à Marie-France DUBUC,
    Précurseur dans la prise en charge des atteintes vestibulaires de l’enfant sourd.

    « Est-ce qu’ils ne sont pas trop mignons ?! » disait fréquemment Marie-France, en nous montrant les jeunes enfants sourds qu’elle prenait en charge en psychomotricité. Pourtant, la plupart étaient en grande difficulté motrice et corporelle ; mais par son regard bienveillant et son observation fine, Marie-France a su donner du sens à leurs comportements et attitudes désordonnées, là où beaucoup voyaient une atteinte neurologique, une dyspraxie irrémédiable voire un désordre psychique avéré. Elle est certainement un précurseur dans la prise en charge des enfants avec atteinte vestibulaire.

    Nous sommes alors au début des années 2000. Dans son observation, Marie-France part du principe que le jeune enfant sourd se développe tant bien que mal avec ses potentialités sensorimotrices préservées, et qu’il met en place des stratégies spontanées qui lui paraissent les plus pertinentes à ce moment-là.
    Elle s’aperçoit cependant que plusieurs enfants présentent des signes cliniques similaires : elle observe chez eux : des raideurs et crispations exagérées lors des déplacements, une coordination générale et fine qui évoque le tableau de la dyspraxie ou de la dysgraphie, une structuration de l’espace aberrante où l’enfant ne parvient pas à reproduire un modèle de construction simple. Les autres professionnels de l’équipe se plaignent de l’attitude de ces enfants : souvent couchés au sol ou sur leur bureau, qui rasent les murs dans les couloirs, refusent de donner la main dans le rang, s’isolent dans la cour de récréation… Tout est alors question d’observation et d’interprétation. Mais Marie-France ne peut se résoudre à entendre que ces enfants sont caractériels, paresseux, bizarres et qu’il sera bien difficile d’en tirer quelque chose.
    En cherchant dans leurs dossiers, elle tombe immanquablement sur un retard de développement psychomoteur et plusieurs fois la mention « aréflexie vestibulaire » la questionne. Elle cherche, s’informe et finit par rencontrer de Dr S. Wiener-Vacher, ORL à l’hôpital R. Debré qui de son côté a mis en place une consultation spécifiquement dédiée à l’analyse des atteintes vestibulaires chez l’enfant, précurseur elle aussi de ce type d’examen. De ces échanges va naître progressivement une nouvelle prise de conscience dans tout le monde de la surdité. En 2006, ACFOS organise un colloque où l’on parle enfin des troubles vestibulaires et de la manière de les prendre en charge. Marie-France y fait une première intervention. En 2007, des ateliers lui permettent de partager son expérience de terrain avec les enfants sourds. A partir de là, la fréquente association audio-vestibulaire (60% des enfants sourds profonds sont concernés) est progressivement reconnue, mais surtout les principes de compensation, utilisés au quotidien vont pouvoir « sauver » ces enfants, leur donner des stratégies efficaces et leur permettre de « rattraper » leur retard.
    Comme pour un trépied, l’équilibre repose sur les afférences vestibulaires, visuelles et proprioceptives. Quand les afférences vestibulaires font défaut, l’enfant doit donc s’appuyer sur les deux autres entrées, encore immatures : un vrai défi qui concerne tout le développement !
    En cherchant à décoder le comportement de ces enfants avec ce nouvel éclairage, on saisit assez vite les stratégies spontanées qu’ils tentent de mettre en place pour tenir l’axe tête-cou-tronc, pour se redresser, puis pour stabiliser leur regard lors des déplacements… Les « bizarreries » qu’ils présentent prennent un sens nouveau. Ils ont en effet besoin de plus d’appuis, et plus longtemps que d’autres enfants. On retrouve ainsi des enfants d’une dizaine d’années continuer à s’allonger au sol, ou ayant besoin de soutenir leur tête en classe. Pas de provocation ou de paresse ici, mais la traduction d’un effort intense pour maintenir leur tête et renforcer leurs appuis. C’est en comprenant mieux quelle énergie ils mettent pour maintenir leur corps et stabiliser leur regard que les professionnels vont pouvoir s’adapter pour limiter les double ou triple tâches. Veiller à l’installation de l’enfant, à ses appuis devient essentiel pour le dégager de l’effort postural et lui permettre de développer l’attention nécessaire aux apprentissages et à la communication. De même, on comprend mieux l’appréhension spontanée de ces enfants dans toute situation de déséquilibre : mouvements en récréation, structures de jeux limitant les appuis ou déstabilisantes, etc. Marie-France patiemment sensibilise l’équipe au sein du CEOP, puis plus largement forme des étudiants en psychomotricité, grâce à des séquences vidéo de ses prises en charge. Rapidement, un module de formation spécifiquement dédié aux atteintes vestibulaires, est proposé par ACFOS pour tout public. Un livret destiné aux familles est élaboré en 2012 pour leur permettre de décoder les comportements de leurs enfants et donner des exemples concrets pour leur permettre de progresser.

    C’est donc d’abord par l’observation que commence toute prise en charge.
    Marie-France a mis en place au CEOP, dès l’âge de 2-3 ans des séances d’éveil moteur qui seront reprises dans beaucoup d’établissements par la suite. Il s’agit d’aider à structurer le schéma corporel, de permettre l’expérimentation motrice la plus large possible, notamment en reprenant les différentes étapes du développement, les coordinations et l’équilibre, les sauts et jeux d’adresse… La spécificité de ces séances est dans un déroulement constant des différents ateliers, passant de l’exercice dirigé au jeu libre puis inversement. Le jeune enfant sourd qui construit sa communication prend donc ses repères de temps et d’espace au fur et à mesure des séances. C’est le lieu idéal pour observer les stratégies motrices et les modes de communication, et pour repérer les enfants en plus grande difficulté.
    Une rééducation est ensuite nécessaire pour aider les enfants avec atteinte vestibulaire. Il s’agit de mêler les principes de la psychomotricité aux principes de compensation vestibulaire. On reprend ainsi, par le jeu, les différentes étapes du développement : déplacements, coordinations, sauts, lancers, graphisme, etc. en veillant au contrôle tonique et postural, aux appuis, en renforçant la proprioception et l’intégration du schéma corporel, en verbalisant beaucoup (les orientations, les positions et segments corporels mis en jeu), en montrant des cibles fixes pour stabiliser le regard. Chez un tout petit, c’est d’abord les yeux de la mère ou de l’adulte qui servent d’ancrage puis progressivement des points de fixation extérieurs quand l’enfant peut se déplacer de façon autonome. Ce qui fait finalement la grande différence entre les enfants avec atteintes vestibulaire et ceux qui auraient une atteinte neurologique, c’est leur évolution. Si l’on tient compte de leurs besoins, les premiers vont progresser assez vite, surtout s’ils sont pris en charge précocement, et passeront par toutes les étapes du développement classique, mais avec un décalage dans le temps. Tandis que les seconds garderont malheureusement un handicap avec lequel il faudra composer.
    Marie-France, malgré sa discrétion, aura donc largement participé à la prise de conscience des atteintes vestibulaires chez l’enfant sourd et permis d’intégrer les principes de la rééducation vestibulaire à la prise en charge psychomotrice. On pourra retenir sa ténacité à mettre du sens sur ce qu’elle voyait, une grande bienveillance pour chaque enfant qu’elle accueillait et un enthousiasme pour chaque petit progrès, même minime. Cet appel à l’émerveillement, elle nous le confie pour chacune des rencontres et prises en charge à venir. Sachons regarder les enfants qui nous sont confiés avec beaucoup d’espérance et de bienveillance, car ils cherchent vraiment à faire de leur mieux !

    Soline LECERVOISIER

    BIBLIOGRAPHIE
    DUBUC M.-F. (2013), « Présentation de l’aréflexie vestibulaire et de ses conséquences sur le développement corporel et représentatif », Connaissances Surdité, la revue ACFOS, n° 46, p. 7-23. En ligne : http://www.acfos.org/category/nos-publications/revue-acfos/page/2
    DUBUC M.-F. (2007), « Prise en charge des enfants atteints de troubles de l’équilibre », Connaissances Surdité, la revue ACFOS, hors-série n°3, p. 69-72.
    LASSERRE E. (2009), « Les troubles vestibulaires chez l’enfant sourd » En ligne : http://www.acfos.org/se-documenter/base-documentaire
    LECERVOISIER S. (2010), « L’aréflexie vestibulaire chez l’enfant sourd : répercussions possibles sur le développement psychomoteur et à plus long terme sur les apprentissages », Connaissances Surdité, la revue ACFOS, N° 31, p. 20-25. En ligne : http://www.acfos.org/se-documenter/base-documentaire
    LECERVOISIER S. (2009), Rééducation vestibulaire chez l’enfant sourd – apport de la psychomotricité, DIU de Rééducation vestibulaire, dir. Dr S. WIENER-VACHER, UPMC-Paris VI. En ligne : http://s3.e-monsite.com/2011/01/30/88575031reeducation-vestibulaire-chez-l-enfant-sourd-pdf.pdf
    WIENER-VACHER Sylvette (2003), « Surdités de l’enfant et équilibre, une relation souvent oubliée », dans L’aide auditive : la lettre, p. 1-6.
    WIENER-VACHER S. (2007), « Troubles de l’équilibre : bilan diagnostic et conséquences sur le développement psychomoteur », dans Connaissances Surdité, la revue ACFOS, hors-série n°3, p.63-68.
    WIENER-VACHER S., LECERVOISIER S. (2012), Les troubles de l’équilibre chez l’enfant, Paris : ACFOS. En ligne : http://www.acfos.org/publication/autresp/troublesequilibre_juin2012.pdf